Transition environnementale du cinéma

où en sommes-nous ?

Le niveau d’émission de gaz à effet de serre de l’industrie cinématographique, lié aux festivals mais aussi aux activités d’exploitation, distribution et production, traduit des risques : que se passerait-il dans un monde contraint en énergie fossile pour les multiplexes ou les grosses productions type blockbusters ? et quid des plus petites salles ou des films plus modestes ? La question s’est récemment posée dans un contexte de risques sanitaires accrus, il est nécessaire de se la poser aujourd’hui dans une perspective de choc énergétique afin d’anticiper au mieux les interrogations futures des professionnels et de leurs publics.

 

Le cinéma a-t-il vraiment un impact environnemental ?

On entend des professionnels de l’exploitation revendiquer que les salles sont vertueuses car isolées thermiquement et phoniquement. On entend des producteurs affirmer que la suppression des bouteilles en plastique sur un tournage l’a rendu éco-responsable. On entend des artistes redouter que la contrainte écologique vienne entraver la création artistique.

Mais qu’en est-il vraiment ? L’exploitation génère de nombreux déplacements de spectateurs (69% des Français vont au cinéma en voiture) et de professionnels (congrès, conventions, festivals…) ; d’importantes dépenses énergétiques (liées à la vie du bâtiment, à la projection numérique mais aussi aux transferts numériques – on estime à 14 millions de Go les flux générés par an par l’envoi de films et de films-annonces) ; la consommation de nombreuses confiseries et boissons (48% des spectateurs achetaient l’un de ces produits en 2019) et donc autant de déchets. La production d’un film implique le déplacement de dizaines de professionnels (38% des films français sont au moins partiellement tournés à l’étranger) ; la fabrication et souvent la destruction immédiate de décors, de costumes ; le recours à des moyens techniques énergivores … Encore faudrait-il pouvoir mesurer cet impact.

Seuls des chiffres, des démonstrations scientifiques permettent d’étayer ou de contredire les arguments de l’ordre de l’intuition. Or les données manquent pour le moment. Un bilan carbone de l’audiovisuel a été réalisé mais non seulement il date de 2010, soit avant la numérisation de la filière mais en plus il ne semble pas couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur d’un film.

Au printemps 2021, le think-tank The Shift Project, œuvrant en faveur d’une économie bas carbone, s’est saisi de l’enjeu d’objectivation des données afin de dresser un état des lieux clair, sourcé et chiffré des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie cinématographique. Un premier rapport a été publié, couvrant essentiellement les champs de la production et de l’exploitation, il devrait être enrichi dans les prochains mois.

En voici les chiffres clés : 

  • l’ensemble des 2000 cinémas français émettraient en moyenne 1,07 millions teCO21, soit l’équivalent des émissions générées par la population de Nancy sur une année ;
  • la production d’un film moyen générerait 750 teCO2

Ne serait-ce qu’au niveau de l’exploitation, près de 90% des émissions sont dues aux déplacements des spectateurs en salle. Or une salle de cinéma ne peut vivre économiquement et socialement que si les spectateurs viennent. Ce chiffre montre donc la grande dépendance du secteur aux énergies fossiles et sa vulnérabilité en cas de crise énergétique.

Cette illustration permet de comprendre que l’impact environnemental du cinéma est tel qu’il est indispensable pour l’industrie d’anticiper les chocs énergétiques à venir sans quoi, elle les subira. Et anticiper c’est amorcer sans délai de profonds changements dans l’exercice de son activité.

 

UNE DYNAMIQUE QUI S’AMORCE

De manière générale, on observe une dynamique de structuration des enjeux.

Le rapport de The Shift Project en est un exemple avec l’appropriation par un acteur privé d’enjeux qui lui sont a priori externes. Un autre exemple est la multiplication de la présence de la thématique lors de rendez-vous professionnels (réunions syndicales, AG) et même dans la presse. L’observation tend à laisser place à l’analyse et la construction de solutions concrètes au problème désormais identifié et de plus en plus d’acteurs se mobilisent.

Au niveau des pouvoirs publics, citons d’abord le décret tertiaire relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire de plus de 1000 m² dans un premier temps ; il concernera, à terme tous les bâtiments indépendamment de leurs surfaces. Malgré des modalités d’application encore floues, ce décret contraindra les salles de cinéma à déclarer chaque année leur consommation d’énergie, tout en ayant des objectifs chiffrés : 60% de réduction en 2050. Au niveau ministériel, sur les 4 milliards € de budget consacrés à la Culture, 0,45% seront alloués au soutien de la Responsabilité sociale des entreprises (incluant, qui plus est, d’autres enjeux que les sujets environnementaux). 

Le CNC affiche une politique ambitieuse s’incarnant à travers le Plan Action ! D’enjeu, l’impact environnemental du secteur est devenu un véritable problème public. Quatre priorités ont été identifiées : la réduction de l’impact carbone des productions ; l’amélioration des dépenses énergétiques des tournages et l’accompagnement de la rénovation des structures ; la réduction des déchets et l’incitation à l’économie circulaire ; l’encouragement vers la sobriété numérique. Pour appuyer son analyse, le CNC a lancé une étude des dépenses énergétiques des salles de cinéma dont les résultats devraient être publiés début 2022.

Cette ambition publique se développe parallèlement aux initiatives privées, qui tendent à se multiplier. Hormis, le secteur de la distribution qui s’est pour le moment moins engagé dans une voie de réduction de l’impact de ses activités (notamment lié aux envois numériques et physiques des films et du matériel promotionnel ou aux tournées d’équipes de films), les autres secteurs mettent en place des solutions concrètes de réduction de leur impact. Dans le secteur de la production, des calculateurs permettent d’estimer l’impact carbone d’un tournage, notamment le Seco2 proposé par Secoya. Dans l’exploitation, le premier projet d’un éco-ciné Utopia, à énergie positive, est en train de sortir de terre à Pont-Sainte-Marie. Les festivals donnent également de plus en plus la part belle à la thématique environnementale en s’interrogeant sur leur propre responsabilité, comme l’a fait le Festival de Cannes et revoyant l’ensemble de sa flotte automobile, ou encore en sollicitant une éco-contribution auprès des festivaliers.

 

ET MAINTENANT ?

La professionnalisation du secteur qui permettra une action efficace est amorcée, des initiatives sont portées individuellement et collectivement : l’industrie cinématographique donne des signaux importants de prise en compte des enjeux environnementaux, vivement la suite !

 

1  teCO2 est une unité de mesure signifiant « tonne équivalent CO2 »

 

© Extrait du compte-rendu de Juliette Vigoureux, Consultante indépendante Cinéma et Développement durable, pour l’Acap – pôle régional image

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